samedi 27 juin 2015

X comme Le mort inconnu de Thil... Qui est... Thil ?

J'aime beaucoup les énigmes... et les résoudre. Partir sur les traces d'un nom, d'une photo, observer, enquêter, déduire...

C'est par hasard que j'ai retrouvé cette photo très détériorée. Elle était placée dans le livret militaire de mon arrière-grand-père Alfred Doriot. Terrible cliché de la Grande Guerre. 

En sépia, il porte son uniforme de 14-18, casque Adrian sur la tête. Il porte un brassard avec une croix que l'on imagine rouge.
A l'arrière plan se trouve un homme dont on ne voit pas le visage.

Alfred Doriot est penché sur un bâche d'où dépasse un tête et divers débris humains.


A l'arrière, deux mots et une date : Thil (Champagne) 1917.



Thil est en effet, une petite bourgade non loin de Reims.

Pour commencer, je me suis plongé dans la fiche matricule d'Alfred Doriot. Né à Etupes en 1888, il est donc de la classe 1908. Son service, il l'effectue au 4e Régiment d'Artillerie puis au 5e en 1910, comme musicien. Digne de fils de son père Charles Doriot, fondateur de la fanfare d'Etupes.

En 1914, il est mobilisé au 47e Régiment d'Artillerie de Campagne en garnison à Héricourt (70) tout près de Montbéliard. Je ne m'attarderai pas sur les premières années de guerre. Mais le 22 avril 1916, il est évacué pour maladie à l'ambulance 4/55 située à Froidos dans la Meuse. Il fait partie de la 9e Batterie du 47e RAC. Ces détails auront une importance plus tard.

Il est évacué sur l'hôpital de Grenoble pour se retaper et est de nouveau opérationnel le 27 juin 1916. Sur son livret, il réintègre la 9e Batterie du 47e.

En mai 1917, le régiment se trouve vers Reims. Les batteries se mettent en position autour du village ravagé de Saint-Thierry. La 9e batterie se place au nord, à hauteur de Thil.



L'historique du 47e RAC, par le Chef d'escadron Masson, mentionne aussi : "Le régiment, malgré de durs marmitages, avait eu peu de casse en somme dans ce secteur de Saint-Thierry. Pourquoi fallut-il qu'un coup d'une brutalité inouïe vint l'attrister profondément."

Le commandant poursuit : "C'était le 25 Juin, le Colonel BERNARD avait décidé ce jour là de visiter la position de la 9e Batterie près de Thil. Comme il arrive près du village, les obus tombent fort. Mais le Colonel BERNARD n'est pas de ceux qui changent un programme pour fuir un danger. Accompagné du Lieutenant SIAU, il continue sa route, parcourt la batterie et s'en va sous la conduite du Lieutenant de VALICOURT visiter les observatoires voisins. C'est alors, qu'un obus tombe dans le boyau que les officiers suivent et les réunit tous les trois dans la même mort glorieuse".

Il n'y eu que ces trois morts à Thil où aux environs pour le 47e RAC. Les restes humains sur lesquels se penche Alfred Doriot appartiennent donc à l'un de ces trois hommes. On imagine aisément que la violence de l'explosion a déchiqueté les corps.

Qui étaient ces trois officiers ?

- Le colonel Charles Bernard n'est autre que le chef de corps du 47e RAC. Né en 1867 à Paris, il est fait,officier de la légion d'Honneur le 7 novembre 1916.

Fiche disponible ici
Lors de la grande collecte, un homme trouve une malle dans une déchetterie. Elle contient des objets 14-18 et est dite "Malle de Charles Bernard". Une plaque de cuivre où est mentionné qu'il est mort pour la France le 25 juin 1917 :

FRAD062_094 - Charles Bernard.

Premier point commun avec Alfred Doriot, il est passé à la même époque par le 5e RA. Lui était capitaine et Alfred, soldat.

On le retrouve sur le site Memorial GenWeb :
On apprend qu'il est polytechnicien promo 1885.

- Le lieutenant Augustin Marie Joseph de Valicourt, lui est né à Troyes dans l'Aube le 23 septembre 1886

Fiche disponible ici.
Sur Memorial GenWeb, on apprend plein de détails et surtout on peut y découvrir sa photo.

Enfin :

- Le lieutenant Jean Augustin Célidon SIAU, lui est né à Tarascon le 22 juin 1889.

Fiche disponible ici


Stupeur : l'acte de jugement de cet officier est transcrit à... Montbéliard le 1er octobre 1917 ! Pourquoi ? Je ne sais encore. Une nouvelle piste s'ouvre donc aux recherches.

Sur le site Memorial GenWeb, on apprend qu'il est centralien promotion de 1910.
On apprend surtout qu'il est aussi mentionné sur une plaque commémorative de l'église Saint-Maimbœuf de Montbéliard et inscrit sur le monument aux morts de la ville.
Famille catholique donc que celle du lieutenant Siau et qui devait, durant la Grande Guerre, résider dans la Cité des Princes. Qu'y faisait-elle ? mystère pour le moment.

Alors, lequel des trois ? Je dirais : le lieutenant Siau. Sans certitude bien sûr, mais la proximité avec Montbéliard me ferai pencher pour lui.

Toujours est-il que le commandant Masson nous en explique un peut plus sur l'enterrement de ces trois hommes :

"Une immense tristesse émut le régiment, car un lien d'affection sincère l'unissait à son Colonel et rien ne fut navrant comme les obsèques de ces trois officiers qui comptaient parmi les meilleurs.
Leurs dépouilles mortelles s'en allèrent côte à côte dormir leur dernier sommeil au cimetière de Trigny. Au nom des officiers et des hommes, le Chef d'Escadron MASSON vint les saluer et leur dire un dernier adieu, après quoi chacun rentra à son poste pour les venger".

Le colonel Bernard et le lieutenant Siau, se trouvent toujours au carré militaire du cimetière communal de Trigny (51). Ils occupent les tombes 62 et 63. Seul le corps du lieutenant de Valicourt a été rapatrié par sa famille après la guerre.

Finalement, à travers une simple photo et peu d'indices, on peut dérouler le fil de la petite histoire... enchâssée dans la grande.

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