jeudi 25 juin 2015

V comme Versets bibliques et épitaphes funéraires

Que laisse un défunt à sa mort ? Son souvenir d'abord, bon ou mauvais. Un héritage, petit ou grand. Et une tombe. Belle, grandiose, originale ou très simple.

L'art funéraire est un monde à part avec ses codes. Les sabliers, les anges, les colonnes brisées... Et les épitaphes. Ah cette fameuse épitaphe disant aux vivants : "Je vous l'avais bien dit que j'étais malade !" que je n'ai d'ailleurs jamais vue...

L'épitaphe est toujours pleine d'espérance ou laisse du défunt une bonne image. Robert Sabatier écrivit un jour : "Un enfant, en lisant les épitaphes sur les tombes du cimetière, demanda à son père dans quel coin du cimetière on enterrait les méchants"...

"L'épitaphe est une des dernières informations sur l'identité du défunt. Elle se double quelquefois d'un message qui prend forme d'une sorte de testament moral légué", peut-on lire dans un article intitulé "Les tombes protestantes" sur le site Musée protestant. Un article issu de la recherche d'Anne Nègre, avocat au barreau de Versailles dans le cadre de sa thèse de doctorat en droit "Contribution à l'histoire du patrimoine : le cimetière protestant de Nîmes, 1778-1910", Université de Poitiers, Faculté de Droit et de Sciences sociales.

Intéressante étude d'un cimetière protestant.Calviniste en l'occurrence. Dans le cas qui nous intéresse, le cimetière d'Etupes est, à l'époque qui nous intéresse (XIXe et début XXe siècle) exclusivement protestant luthérien. Les rares catholiques du villages vont, eux, se faire enterrer... dans un village plus éloigné !

Sur la plupart des tombes de cette période, et même encore de nos jours, l'épitaphe est composé d'un verset biblique. Un verset soigneusement choisi par l'intéressé ou sa famille. La connaissance de la bible à cette époque est très bonne puisque l'apprentissage et la lecture des écritures est indispensable à la formation du jeune protestant. Les enfants, souvent, apprennent à lire dans la bible de leurs parents.

Car chez les protestants, des bibles, on s'en voit offrir souvent : mariage, confirmation... Et toutes, absolument, comporte un verset manuscrit. Pour exemple, le 17 novembre 1985, au catéchisme, j'ai reçu ma première bible. Celle-ci comporte ce verset inscrit par le pasteur Boilloux, est tiré du Psaume 119/105 : "Ta parole est une lampe devant mes pas, une lumière qui éclaire ma route".

Le livre des Psaumes, voilà une source inépuisable de versets qui viendront orner des tombes à Etupes. Deux sur une seule sépultures, rien de moins :

« Sur Dieu seul mon âme repose paisiblement » Ps 62-2
« Quoi qu’il en soit, mon âme se repose en Dieu » Ps 62-2

ou encore :

« Il guérit ceux qui ont le cœur brisé et il bande leurs plaies » Ps 147-3

« Fais moi entendre la joie et la consolation et que les os que tu as brisés se réjouissent » Ps LI 10

« La vie est un combat dont la palme est aux cieux. La lumière est semée pour le juste et la joie pour ceux qui ont le cœur droit » Ps XCVII-11

D'ailleurs une référence au livre des Psaumes orne la tombe du caporal Peugeot :

« Que ton cœur soit ferme et espère en l’Eternel » Ps XXVI-14



Juste à côté, son grand-père, le colonel Pechin, ancien saint-cyrien a préféré une référence au prophète Job :

« Tu entreras au sépulcre dans la vieillesse comme on emporte une gerbe en son temps » Job V-26

Les prophètes, une autre source de versets mortuaires et en particulier Esaïe :

« Ne crains point car je te rachète, je t’appelle par ton nom, tu es à moi » Esaïe XLIII

« Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé pour consoler ceux qui sont dans le deuil » Esaïe 61 1-2 :



«  Je t’appelle par ton nom, tu es à moi ! » Esaïe 43-1

Ou, comme sur la tombe à Menton d'Auguste et Camille Doriot :

"Tu n'auras plus le soleil pour lumière mais l’Éternel sera pour toi une lumière éternelle" Esaïe LX-19



Mon arrière-grand-père Alfred Doriot et son épouse sont enterrés dans la tombe de Charles Doriot, de son épouse et de leur autre fils mort à un mois. Elle porte ce verset tiré de Jérémie :

« Je l’ai aimé d’un amour éternel c’est pourquoi je l’ai attiré par ma miséricorde » Jérémie 31-3


Les évangélistes ont aussi la cote, surtout Matthieu :

« Heureux ceux qui ont le cœur pur car ils verront Dieu » Matth 5-8
« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront rassasiés » Matth V-6 (aviateur)

Sur la tombe de Frédéric Curie, impossible de graver un verset biblique. Athée et enterré civilement, son épouse a quand même contourner la question en laissant une phrase simple qui pouvait lui convenir également, elle, qui était protestante, croyante et pratiquante :

« Que ton repos soit aussi doux que ton cœur était bon »

Parce des épitaphes profanes, il en existe aussi :


« Ta mémoire est toujours près de moi - Dilectissima mater requiescat in pace ».

Ou, sur la tombe des Lyon d'Amérique, la fille Adèle Durbec, demoiselle Lyon fait inscrire : 

"Ce monument a été élevé à la mémoire de Pierre Doriot et de Suzanne Lyon"


Plus émouvant cette phrase : "Témoignage du profond amour et de la vive affection de tous ceux qui ont su l'apprécier" :



Pour terminer, voici deux épitaphes exceptionnelle, la première est présente au cimetière d'Etupes. C'est celle d'Henri Iselin FTPF (Francs-Tireurs et Partisans Français). un simple plaque barrée de tricolore indique son nom et sa date de décès : 17 novembre 1944. Arrêté par les Allemands, il est retrouvé mort dans sa cellule à la prison de Montbéliard.
La phrase est éloquente : "Mieux vaut mourir que trahir". Cela veut-il dire qu'il s'est suicidé, comme le faisait beaucoup de résistant, plutôt que de donner ses camarades de réseau ? Peut-être. Un geste de courage et d'honneur.



Enfin, voici l'épitaphe que j'avais traité dans un précédent billet daté du 9 juin 2014. Le possible arrière-grand-père de ma compagne se nommait Jules Hautemayou. Mobilisé en 1914, il fut blessé à Cléry-sur-Somme et décéda le 2 septembre 1916 à l'hôpital d'Amiens.

Après la guerre, sa mère, retournée dans le Cantal le fit rapatrier dans le caveau de famille. Au passage, elle fit prélever une dent sur le crâne. Dent qu'elle conserva sur elle, le reste de ses jours.

La tombe du cimetière de Saint-Simon comporte une plaque où est inscrit qu'elle pleure son fils chéri... "martyr des capitalistes !" :



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