samedi 20 juin 2015

R comme... Edmond Rigoulot, l'homme aux cinq citations 14-18

Yeux bleus et cheveux en brosse, nonagénaire bon teint, gentil et bienveillant. Voilà comment je me souviens de mon arrière-grand-père. Il est mort en 1983, j'avais 10 ans.
Je me souviens de sa voix douce et je garde quelques images en tête : assis en bout de table dans la salle à manger de sa maison d'Etupes. Derrière lui un bahut et au-dessus : un cadre avec une photo de ses trois enfants. Sur ce cadre était piqué une croix de guerre 14-18 ornée de plusieurs étoiles dont j'ignorais tout. Jamais je n'ai posé de questions. Et jamais il n'en a parlé. A quiconque. Peut-être à sa femme. Et encore.

Le voici avec son épouse Fanny en 1919.Il porte sa croix de guerre et la fourragère de la 4e compagnie du 28e bataillon du Génie aux couleurs de la médaille Militaire.
Né le 25 juin 1892 à Etupes, Edmond Frédéric Rigoulot est rapidement orphelin de père.
Après une scolarité plutôt brillante et une amitié avec Jules André Peugeot, futur premier mort de la Grande Guerre, il est appelé avec la classe 1912.
Quand sonne la mobilisation générale d'août 1914, il est incorporé au 28e bataillon du Génie créé le 1er mai 1914 à Belfort. Le 2 août 1914, il incorpore une compagnie de réservistes, la 4e. Elle est commandée, durant toute la guerre, par le capitaine Guéry. (Cf la fiche Wikipedia)

Ah le capitaine Guéry, passé commandant, qui rédige en 1929 l'Historique de la Compagnie 28/4 du Génie. Un bonheur.

Ce chef qui, dans un discours, le 28 février 1919 leur dit : "C'est que vous avez toujours été superbes, individuellement et collectivement, depuis les débuts en Alsace jusqu'à l'armistice,
pendant 51 mois de campagne. Vous avez connu presque toutes les parties du front, depuis la frontière de la Suisse jusqu'à la mer du Nord. Votre lot aura été la guerre d'embuscades et de ruses, en Alsace, avec des nuits de travail fréquemment répétées, — la lutte de position à Verdun, l'un des plus grands épisodes de la campagne, au chemin des Dames fameux et légendaire, puis dans les Flandres, pour en arriver enfin, dans la Somme, dans le Nord, et aux confins de la Picardie, aux dures journées de résistance contre l'ennemi, mais aussi à sa poursuite et au fait accompli de sa déroute. Tout cela sous les balles, les bombardements les plus terribles, à travers un terrain bouleversé par les engins puissants de la guerre moderne, dans l'atmosphère des explosions et de la poussière sinistre du champ de bataille".

Verdun, le Chemin des Dames... L'horreur.

Sa fiche matricule aux archives départementales de Belfort est éloquente.

Cinq citations et une blessures émaillent son parcours. Des citations reprises dans l'historique du commandant Guéry.

La première, à l'ordre de la Division, date du 31 janvier 1915 lors des opérations d'Alsace : "S'est porté crânement en avant sous le feu des fusils et des mitrailleuses ennemies pendant 200 mètres pour aider l'infanterie dans l'assaut d'une tranchée"

La seconde, toujours à l'ordre de la Division, est du 13 décembre 1916 à Douaumont : "Excellent travailleur dans le danger, toujours plein de courage et de zèle a assuré, au cours de l'attaque du 24 octobre, le ravitaillement de la section dans des conditions particulièrement dangereuses, sous de
fréquents bombardements". Le 24 octobre 1916, date de la reprise du Fort de Douaumont par les Français du RICM, le Régiment d'infanterie coloniale du Maroc, pays où il va se rendre au tout début des années 1920 et où mon grand-père naîtra en 1922... Tout un symbole.

Une troisième est mentionnée dans l'historique, à l'ordre du Commandement du Génie (Brigade). Elle concerne une action qui a eu lieu à la fin de 1916, dans le village meusien, aujourd'hui mort pour la France, de Bezonvaux : « Courageux et très brave. Malgré un travail intensif, sous un violent bombardement, a assuré en plus, dans des conditions très dangereuses et avec le mépris du danger, la liaison efficace entre le chef de bataillon de chasseurs et son chef de section du génie, ainsi que le ravitaillement de ses camarades. »

La quatrième citation est datée du 3 novembre 1917, toujours à l'ordre du commandement du Génie, lors de la 2e bataille des Flandres : « Énergique, plein d'ardeur au travail; a entraîné ses camarades dans un effort soutenu que n'a pu entamer ni le feu de l'ennemi,ni la fatigue, ni la fange et l'eau qui s'opposaient à son travail. »

Edmond Rigoulot le fut blessé le 18 août 1918 à Tilloloy dans la Somme. Il fut cité à l'ordre de la Division : "Volontaire pour les missions dangereuse, a été blessé en travaillant à rétablir les communications sous le feu de l'Artillerie et des mitrailleurs ennemis". Il a reçu un éclat d'obus au bras droit.

L'historique de la 28/4 le mentionne : "Le lendemain (18 août), ce travail est continué par le peloton Chevillot, pendant que des fractions du reste de la compagnie réparent les chemins donnant accès à Tilloloy, afin de permettre l'établissement d'un circuit pour les voitures sanitaires automobiles;
celles-ci, qui viendront de Bus pour desservir les postes de secours des premières lignes, pourront alors retourner à l'arrière par le nord du parc. Au cours de cette mission, le sapeur Rigoulot, blessé par éclat d'obus au bras, est évacué".

Le 11 novembre 1918, Edmond Rigoulot l'appris en Belgique, à Macon, dans la région de Chimay dans la province du Hainaut. Le commandant Guéry dresse un tableau des membres de la 28/4 parti le 6 août 1914 de Belfort et présent Outre-Quiévrain le jour de l'Armistice. Il n'était plus que 41...

Voilà donc Edmond Rigoulot, mon gentil arrière-grand-père dit "Le Grand Papa", titulaire d'une croix de Guerre 14-18 avec trois étoiles d'argent et deux de bronze gagnées sur les pires champs de bataille de 14-18. Et blessé au bras en prime.

Sa fiche matricule mentionne aussi qu'il est titulaire de la médaille commémorative de la Grande Guerre, et aussi, par décret du 7 juin 1928 (JO du 21 juin 1928), titulaire de la médaille Militaire alors qu'il est, à cette date, revenu à la vie civil et qu'il conçoit des barrages sur des oueds marocains au fin fond du pays. En réalité, cette médaille militaire est mentionné au titre de la réserve dans le JO du 10 novembre 1927...

Le voilà donc bardé de décorations mais sa boutonnière ne s'ornait d'aucun ruban. Jamais il ne portait ses médailles. Enfin pas tout à fait, seul un ruban orange bordé de blanc trônait au revers de sa veste... Edmond Rigoulot était en effet, chevalier de l'Ordre du Ouissam El Alaouite chérifien, la légion d'Honneur marocaine. "La distinction, ou décoration, du Ouissam El Alaouite, est toujours décernée aujourd'hui aux ministres, aux diplomates, ainsi qu'aux personnalités étrangères (et non marocaines) ayant rendu des services éminents au Royaume", lit-on sur la page Wikipedia de l'ordre. 
Une médaille qu'il avait reçue à titre civil pour ses créations de barrages.



Medaille Ordre du Ouissam Alaouite Maroc.JPG

« Medaille Ordre du Ouissam Alaouite Maroc » par ChatsamTravail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons.

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