mercredi 6 novembre 2013

« La mort a été instantanée »

J’en ai donc appris davantage sur la mort de Georges Graff lorsque l’on m’a donné un petit sac de toile de lin qui contenait une foule de documents personnels. Ceux-là mêmes qui ont été retirés de sa dépouille le jour de sa mort. Il y avait un petit portefeuille de cuir rouge au travers duquel était visiblement passé des éclats d’obus. Les papiers qu’il contenait étaient également troués.


Avec émotion j’ai déplié les papiers. J’en avais la chair de poule. J’y ai trouvé une photo de ses parents et des lettres de ses sœurs. A côté, il y avait un petit carnet avec les noms de ses camarades et un journal qu’il avait tenu depuis sa mobilisation. Il y avait aussi une chevalière d’aluminium qu’il avait lui-même réalisée et où étaient gravée ses initiales : GG. Il la portait à l’annulaire de la main gauche, comme une alliance. Je l’avais vu sur le portrait de chez mon arrière grand-mère.

(Le portefeuille de Georges Graff troué d'un éclat d'obus)

Et puis il y avait sa dernière lettre du 13 janvier 1916 écrite de Sivry-sur-Ante (une localité de l’Argonne marnaise) écrite à la mine de plomb sur ses genoux. Il y avait aussi les lettres de ses camarades écrites à sa sœur Alice. Dans ces lignes qui m’ont tiré des larmes, j’ai appris, dans les moindres détails, comment il avait trouvé la mort.

« Voici les circonstances dans lesquelles notre regretté camarade a été tué », écrit le 28 mars 1916, un certain A. Voisard, camarade de Georges Graff. « Un canonnier de la batterie ayant été commandé pour une corvée à Béthelainville, mon ami Georges, qui se trouvait de repose cet après-midi là, eu la très regrettable idée de vouloir l’y accompagner. Depuis le début de la bataille de Verdun, les Allemands bombardent les pays par intermittence tel que Béthelainville qui se trouve à l’arrière comme bien d’autres également. Ils se servent pour cela de leurs pièces de 190 mm dont on n’entend en aucune façon l’arrivée de l’obus, tellement elle est rapide et c’est malheureusement par surprise qu’il a été touché. Vous pouvez être certaine mademoiselle, qu’en aucune façon il a souffert, la mort a été instantanée. Son camarade qui se trouvait à côté de lui n’a absolument rien eu, le destin, en de pareils cas, vous est fatal. Il a été enterré dans un petit cimetière de Béthelainville par les soins de l’infanterie et tout ce dont il était porteur a été remis aux soins de l’autorité militaire. Vous trouverez facilement sa tombe plus tard, d’autant plus que la batterie lui a fait une croix sur laquelle ses inscriptions sont soigneusement gravées. Quant à ses affaires personnelles courantes, son ami Cuvillier vous renseignera à ce sujet ».

Son ami Cuvillier, c’est Raymond Cuvillier, qui accompagna chacun des périples des sœurs Graff (elles étaient quatre au départ) sur les traces de leur frère. Je ne l’ai pas connu. Il est mort en avril 1973, quelques jours seulement avant ma naissance… Je me souviens seulement de l’enterrement de son épouse quelques années plus tard dans le petit village de Fresnes-sur-Apance en Haute-Marne.

Raymond Cuvillier a écrit deux lettres aux parents de Georges Graff : Marie Virginie née Amstutz qui décèdera de chagrin en 1918 et Maurice Graff.

La première est datée du 30 mars 1916. Elle est très formelle : « Hélas oui madame, nous avons pleuré votre cher fils et nous le pleurons encore. Nous ne pouvons nous faire une idée qu’il n’est plus et pour moi particulièrement la réalité est dure. Je crois à certains moments entendre sa voix, le voir arriver souriant comme il l’était toujours et ma plus grande peine arrive le soir, lorsque je retrouve sa place vide à mes côtés. Nous étions ensemble depuis octobre 1913, nous ne nous étions jamais quittés et je ne vous répéterai jamais assez que votre fils était un modèle de fils et de soldat. Son courage était tel qu’il se moquait complètement du danger ».

Il est précisé qu’il est mort à l’entrée du village à 100 mètres du cimetière où il est enterré. Qu’il n’a pas souffert et qu’il tenait à la main sa blague à tabac.

Raymond Cuvillier reviendra tous les ans en pèlerinage sur ces lieux qui l'ont marqués à jamais…
(La suite au prochain billet)

4 commentaires:

Lulu archive Availles a dit…

C'est à la fois extrèmement émouvant et captivant. Au delà de Georges, en écho, la mort ou la survie des autres, ces destins d'hommes, forgés par la fatalité maléfique du hasard ajoutée à l'implacable boucherie de cette guerre...
Et passe dans ce billet, au premier plan, la liberté d'un homme, qui dans cette loterie sanglante choisit d'accompagner un camarade...
Merci Frédéric.

Unknown a dit…

Bonjour,

Je vous signale d'existence "d'une grande collecte", une grande opération de numérisation ces prochains jours organisés notamment par les archives dans le cadre du centenaire 14-18.

Vos documents seront à coup sûr acceptés (ils seront rendus !)

Voir :

http://poitou-charentes.france3.fr/2013/11/05/centenaire-1418-une-grande-collecte-des-archives-familiales-est-organisee-dans-toute-la-france-351743.html

Cordialement

Frédéric P. a dit…

Merci de ce très gentil commentaire. Il n'y a vraiment pas de hasard en généalogie quand on observe attentivement ce à quoi, souvent, nous devons d'être là.

Jimbo Généalogie a dit…

Merci pour ce magnifique article